ASÉITÉ

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Appartenant strictement à la langue philosophique, le terme «aséité», qui évoque inévitablement la causa sui de Spinoza, désigne la propriété de ce qui a sa propre raison d’être en soi-même et n’est pas relatif à un autre pour ce qui est de son existence. Sur ce sens général, Aristote, Descartes et Spinoza sont d’accord. Mais les conceptions de l’aséité sont relativement éloignées dès lors qu’on essaie d’expliciter cette façon que Dieu a d’être «par soi».

Le concept d’aséité appartient d’abord au courant aristotélico-thomiste. Dans cette perspective, il est nécessaire de poser une première raison d’être, une cause qui meuve sans être mue, qui cause sans être causée, en qui se trouve la perfection dont les choses participent, l’intelligence première, fondement suprême des natures et principe premier de toutes choses. Une telle cause, Dieu, est Acte pur, elle est de «par soi» (a se ). Elle est l’être même subsistant. De cette aséité se déduisent la nature et les perfections de Dieu: simplicité, unité, immutabilité.

Par ce concept cependant, Thomas d’Aquin se distingue d’Aristote, en ce qu’il veut ainsi mettre l’accent sur la nécessité de ne pas s’arrêter à l’ens comme étant , mais d’aller droit à l’esse comme acte d’être. L’aséité d’Aristote, celle de la simple cause première qui meut sans être mue, glisse chez Thomas vers l’aséité de l’acte suprême d’exister. Ce glissement est considérable: «L’ipsum per se subsistens est bien plus qu’une cause, il est la possibilité infinie de la variété des existants historiques» (J. Maritain).

Cette première conception de l’aséité, quoi qu’il en soit de la différence entre Aristote et Thomas d’Aquin, est fondée sur l’idée générale qu’il faut s’arrêter (ananké stènai ), à un moment donné, à un conditionnant qui ne soit pas conditionné. Le contexte en est théiste; il est caractérisé par le problème des rapports de Dieu avec le monde, Dieu étant comme extérieur au monde, lequel est forcément tout entier causé. Dans un contexte encore plus théiste, si l’on peut dire, celui du cartésianisme, le problème se complique, comme on le voit dans les «réponses aux première et quatrième objections» des Méditations . La causalité n’a plus ici de raison d’être, car l’existence d’une cause pour un être considéré est relative à son essence; or l’essence de Dieu interdit à la limite de se poser la question de la causalité à son sujet, en raison même de l’idée d’infini. C’est d’ailleurs Arnauld qui formule cela dans ses objections, plus que Descartes lui-même, lequel, grâce à l’idée de puissance de Dieu, continue de reconnaître une certaine valeur au «par soi comme une cause».

Spinoza maintient l’aséité dans l’idée de «cause de soi», en distinguant bien une aséité positive et une aséité négative, car l’aséité doit être comprise dans le rapport entre la nature naturante et la nature naturée. On ne peut parler d’une causalité par soi qu’en prenant acte de la totalité des choses où sont contenus à la fois la cause et l’effet: si l’aséité du naturant est négative, cela ne veut pas dire que cette aséité se passe d’une raison positive; elle est une aséité de la puissance, de l’existence déterminante et non de l’existence déterminée; elle a son fondement dans la nature du posant, en tant que telle; l’essence du posant peut être envisagée comme une cause. En ce sens, Spinoza est plus fidèle à Descartes que le cartésianisme.

On retrouve le concept chez Schopenhauer qui qualifie d’aséité la volonté comme vouloir-vivre, volonté qui est «la chose en soi, autant qu’une connaissance quelconque peut y atteindre. Elle est ainsi ce qui doit s’exprimer de n’importe quelle manière, dans n’importe quelle chose au monde: car elle est l’essence du monde et la substance de tous les phénomènes» (Le Monde comme volonté et comme représentation , III).

Le débat classique au sujet de l’aséité est typiquement onto-théologique. On peut se demander de quelle utilité est ce concept pour la pensée théologique, notamment pour la pensée chrétienne. Ainsi le Dieu de Jésus-Christ est un Dieu incarné, dont la relation qu’il a avec le monde, pour n’être sans doute pas constitutive, n’en n’est pas moins «affectante»; la création n’est pas rien pour ce créateur-là. La recherche théologique actuelle semble, d’ailleurs, marquée par cette idée que Dieu est, lui aussi, lié à ce qui est conditionné, qu’il est affecté par la création en devenir. Cette idée, qui doit bien quelque chose à Hegel, change considérablement l’univers mental où trouvait place la discussion sur l’aséité divine.

aséité nom féminin (latin scolastique aseitas, de ens a se, être existant par lui-même) Modalité de l'être qui possède en lui-même le principe propre de son existence. (C'est un attribut propre à Dieu.)

⇒ASÉITÉ, subst. fém.
A.— THÉOL. SCOLAST. Propriété caractéristique de l'Être qui existe par soi et à l'exclusion de toute dépendance causale; autonomie absolue dans l'Être. Synon. ipséité; anton. abaliété :
1. Jérôme dit que Dieu est sa propre origine et la cause de sa propre substance, il ne veut pas dire comme le fera Descartes, que Dieu se pose en quelque sorte dans l'Être par sa toute-puissance comme par une cause, mais qu'il n'y a pas à chercher hors de Dieu de cause de l'existence de Dieu. Or cette aséité complète de Dieu entraîne comme un corollaire immédiat son absolue perfection.
GILSON, L'Esprit de la philos. médiév., t. 1, 1931.
Rem. Emploi fig. et iron. chez APOLLINAIRE (Alcools, 1913, p. 94) au sens de parthénogénèse : ,,Les ventres pourront seuls nier l'aséité.``
B.— P. ext., PHILOS. ,,Caractère de ce qui est en soi, possède son existence propre.`` (FOULQ.-ST-JEAN 1962).
1. [En parlant de l'humanité en tant qu'elle revendique son indépendance dans l'être] :
2. C'est l'affirmation de l'indépendance ultime de l'humanité et, si l'on ose dire, de son aséité qui donne à l'athéisme marxiste son sens profond.
LACROIX, Marxisme, existentialisme, personnalisme, 1949, p. 33.
2. [En parlant des choses en tant qu'elles se dérobent à la connaissance] :
3. L'idéalisme transcendantal lui aussi « réduit » le monde, puisque, s'il le rend certain, c'est à titre de pensée ou conscience du monde et comme le simple corrélatif de notre connaissance et que l'aséité des choses est par là supprimée.
MERLEAU-PONTY, Phénoménologie de la perception, 1945, p. X.
PRONONC. ET ORTH. :[aseite]. Ac. Compl. 1842 et Lar. 19e enregistrent une var. orth. asséité.
ÉTYMOL. ET HIST. — Mai 1736 (Journal de Trévoux ds Trév. 1752 : Aséité. Terme de scholastique dont on se sert pour exprimer l'indépendance de Dieu qui existe de lui-même a se; ou par lui-même per se, ce qui fait qu'on dit encore dans le même sens perseité).
Empr. au lat. scolastique aseitas (XIe s., SAINT ANSELME, Monolog., C. VI, Patrologie lat., t. CLVIII, col. 151 ds Théol. cath. t. 1, s.v. aseité) formé d'apr. le lat. [ens] a se ([l'être existant] « par lui-même »); suff. -itas, -itatem.
STAT. — Fréq. abs. littér. :10.
BBG. — BOUYER 1963. — Foi t. 1 1968. — FOULQ.-ST-JEAN 1962. — GOBLOT 1920. — LAL. 1968. — MIQ. 1967 (s.v. aseité). — RHEIMS 1969.

aséité [aseite] n. f.
ÉTYM. 1736, in Trévoux 1752; du lat. scolast. aseitas, de a se « par soi ».
1 Théol. scolast. Caractère de l'être qui est par soi, incréé, dont l'existence ne tient pas d'un autre. || L'aséité de Dieu.
2 Philos. « Caractère de ce qui est en soi, possède son existence propre. Attribut commun à toutes les substances » (P. Foulquié et R. Saint Jean, Dictionnaire de philosophie, 1969). || L'aséité des choses.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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